mardi 27 mars 2012

« Reverse innovation » : pire encore que les délocalisations !

Vijay Govindarajan : "il vaut mieux se cannibaliser
 soi-même... "
Reverse Innovation ? L’idée est explosive ! Et toute simple. Elle consiste à dire que désormais, l’avenir est aux innovations conçues et réalisées dans les pays émergents pour les pays émergents, par les entreprises occidentales en particulier. Des innovations « frugales » faites pour satisfaire les consommateurs (pauvres) de ces pays.

Ce n'est pas tout. Où cette idée devient vraiment intéressante (et effrayante) est lorsque son inventeur et promoteur affirme que ces innovations hyper low cost ont aujourd'hui vocation à diffuser ensuite vers les pays occidentaux. L’exact opposé de ce qui se passait il y a quelques décennies. D’où le le nom… Les conséquences sur la réindustrialisation et l'emploi sont potentiellement terribles.

On doit ce concept à Vijay Govindarajan professeur au Dartmouth College (New Hampshire). Apparue pour la première fois dans un article cosigné avec le pdg de General Electric dans Harvard Business Review, cette analyse vaut à Vijay Govindarajan d’être classé en 5è position dans le Thinker 50, le hit parade des 50 penseurs les plus influents dans le monde des affaires. Reverse Innovation est aujourd’hui le titre du livre qu’il publie avec Chris Trimble.

La logique est implacable : on peut, dans les pays émergents, produire des innovations qui offrent 80% des fonctionnalités d’un produit occidental à 20% du prix, satisfaire un immense marché puis inonder ensuite l’occident avec de tels produits, éventuellement adaptés aux spécificités du marché.

Les exemples ne sont pas encore légion. Mais General Electric, adepte de première heure du processus, l’a déjà mis en oeuvre avec un échographe portable à très faible coût. Développé initialement en Chine pour les médecins chinois, il est désormais commercialisé à un prix défiant toute concurrence aux US.

Vijay Govindarajan cite d’autres exemples dans son livre mais on a en France le modèle parfait et tout à fait pionnier d'une telle innovation : la Logan de Renault Dacia (qui toutefois a été conçue en France). Faite pour les pays émergents, elle séduit aussi le public français. Et elle correspond parfaitement à la logique exprimée par l’auteur du livre  à savoir : « il vaut mieux pour les entreprises occidentales jouer le jeu de la Reverse Innovation au risque de s'auto cannibaliser plutôt que de laisser les innovateurs locaux le faire. »

L’aspect positif de l'affaire pour les entreprises occidentales, son côté vraiment séduisant, tient évidemment au fait que  la reverse innovation leur ouvre de nouveaux et vastes marchés. Mais cela ne va pas sans  la crainte que ces innovations low cost ne finissent par prendre la place des produits high tech et high cost  que l’on s’efforce de développer dans les pays occidentaux, justement afin de reprendre l'avantage sur les émergents.

Cela dit, on peut constater avec un certain soulagement que la Logan qui connaît un succès certain en Europe n’a toutefois pas détrôné les berlines traditionnelles de Renault, pas plus que l’échographe low cost de GE ne l'empêche de vendre ses produits haut de gamme.

 Mais que la cannibalisation soit partielle ou totale ne change rien au fond du problème  : dans tous les cas la production de cette innovation low cost est intégralement réalisée dans les pays low cost comme le prouve parfaitement l'exemple de la Logan  (voir le post d’hier où Patrick Pélata s' explique sur Dacia). Côté industrie et emploi, donc, la perte est totale et irrémédiable. Un sacré mauvais coup pour la « réindustrialisation ». D'autant que, pire que la délocalisation des usines, la reverse innovation porte aussi en germe celle de la conception...

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